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En 1940, c'est-à-dire à trente-quatre ans, j'avais entrepris de me débarrasser de mon enfance en la jetant dans un livre. Ni mes souvenirs, ni moi-même, n'étions sans doute assez m-rs pour que leur récolte me par-t longtemps en valoir la peine. Peu satisfait de la forme que je leur donnais, conscient surtout de la banalité du propos, j'enfouis cela au fond d'un tiroir. Des cent pages alors écrites, j'ai extrait plus tard quelques morceaux, notamment la première partie du petit récit intitulé Simone, qui ont pris place dans la mosaïque de l'un ou l'autre de mes ouvrages. Ils eurent le bonheur d'y plaire, parfois plus que le reste, à qui je plais. Je les ai remis ici à leur place, dans leur forme primitive et intégrale.
Si ce livre-ci a néanmoins sa chance d'être mené jusqu'au bout, après six lustres d'oubliette - j'en rédige la préface le 8 mai 1970, à titre de pari avec moi-même -, c'est qu'un fait nouveau, ou plutôt quelqu'un a remis en appétit d'écrire le mémorialiste avorté que je fus. Comment ? Par l'intérêt qu'il prend à tout ce que je lui raconte de ma famille et de moi : " Tu devrais écrire ces choses ", me dit-on, avec un regard irrésistible. Il a fallu qu'on insistât : tout occupé à vivre, je ne me sentais guère d'humeur à ruminer mon passé. J'écris donc d'abord pour grâce à qui mille souvenirs que je croyais perdus ont refait surface. Peut-être aussi fallait-il être devenu un vieux monsieur, pour avoir le courage de retendre la main au petit garçon abandonné autrefois.
À trente-quatre ans, j'avais été stimulé par des vestiges de haine et je voulais régler leur compte aux miens. Aujourd'hui, non seulement j'obéis aux sollicitations de la tendresse, mais l'expérience que j'ai acquise m'incline à plus de compréhension, par là d'indulgence, et je souhaite que les pages qui vont suivre, si cruelles, parfois, paraîtront-elles, soient de poésie autant que de vérité.