L'eau est trop loin pour le feu qui est trop près

Dans une brève remarque qui accompagnait le manuscrit, Rachid Koraïchi écrit : « Le titre dit tout ». Il dit la féerie du désir, la tension jamais résolue entre l'exaltation de la vie et l'attrait de la mort que suscite la passion amoureuse ; il dit le plaisir, la joie qui inondent le monde autour de soi et la tristesse, la douleur qui en sont les miroirs. Et si l'ordre social et ses interdits pèsent tant, ils ne sont pourtant que la forme la plus extérieure voire anecdotique du « destin » - la loi la plus secrète de l'amour : qu'il soit accomplissement, plénitude et abandon, vertige vers le néant.

Ce long texte d'amour - non daté et décontextualisé - ne désigne pas seulement le « destin » de deux êtres mais se lit dans leurs blessures comme dans l'avidité de leurs lèvres, le mouvement quasi mystique qui dénude chacun des propriétés particulières de son existence pour le jeter face à un feu innommé, à une lumière aveuglante. Aimer n'est pas établir et partager un lien : il est ce qui délie l'existence d'elle-même, l'arrache à son ordre temporel et la livre à des forces inconnues qui sont et seront la mesure de chacun. En ce sens si proche de la mort.

Pas de délit ni d'oubli, pas de regret ni de rancoeur, pas de mélancolie : juste un savoir plus acéré de soi ; de ses limites et de ce qui peut comme un éclair les transcender : « je t'aime avec la fulgurance de l'éclair qui déchire, brûle, pulvérise ».
Pierre Manuel