Pierre-Joseph Proudhon [1809-1865] fut tour à tour polémiste,
économiste, philosophe et sociologue. Que retient-on de sa pensée
cent cinquante ans après sa mort ? À tout le moins une formule
fameuse : «La propriété, c'est le vol !» Pourtant Sainte-Beuve disait
de lui qu'il était le plus grand prosateur de son temps, et Georges
Sorel qu'il était le plus éminent philosophe du XIXème siècle. Dans sa
recherche de l'équilibre entre le communisme et le libéralisme,
Proudhon reste aujourd'hui un point de passage obligé pour qui veut
comprendre la société contemporaine.
Au fil des pages, La Guerre et la Paix [publié en 1861] s'impose
comme un travail de recherche ambitieux, qui, s'il a une portée
pratique, n'en est pas moins, de par son inventivité même, un chef-d'oeuvre
du courant phénoménologique. De chapitre en chapitre,
l'explicitation rigoureuse de ce que Proudhon nomme la «phénoménalité
de la guerre» accomplit ce qui semblait impossible : réhabiliter,
contre la célèbre critique rousseauiste du droit du plus fort,
l'idée d'une unité native du droit et de la force.
S'opposant à la tradition des penseurs du droit naturel des XVIIème
et du XVIIIème siècles, ainsi qu'aux opinions de son temps, Proudhon
s'efforce ensuite de refonder nos théories politique et cosmopolitique
du droit à partir d'une reconnaissance assumée du primat de la force et
de la guerre. Qu'une telle perspective puisse aujourd'hui heurter nos
habitudes intellectuelles est compréhensible. Mais comment ne pas
remarquer que Proudhon, en quête de justice et de paix, nous conduit
ici à penser méthodiquement l'instabilité originaire du fondement
juridico-politique de notre société ?
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