Ce que ce livre appelle la dépensée, c'est un mélange inédit de refus, de
peur et d'incapacité de penser. La dépensée n'est pas la bêtise. Elle est le
symptôme d'un malaise dans une société où la pensée ne trouve plus ni
les lieux où s'exercer, ni les «larges tranches de temps» où se déployer,
ni même les mots où se formuler. À l'ère de l'économie mondialisée, la
pensée est considérée comme un coût suppressible. La «valeur pensée»
est à la baisse, comme Valéry le disait, naguère, de l'esprit. Une crise de la
pensée sans précédent met en péril le projet même de ces Lumières dont
nous nous prétendions héritiers.
Peut-on encore «s'orienter dans la pensée» à l'heure du «temps de
cerveau humain disponible», de la marchandisation des biens culturels
et des «éléments de langage» ?
L'époque nous enserre dans de redoutables injonctions contradictoires
qui nous mettent au rouet entre positivisme triomphant et
spiritualisme toujours renaissant, apologie des neurosciences et
retour du Sujet, triomphe du numérique et nostalgie des humanités
perdues. Comment sortir de ces apories, si ce n'est en mettant au jour
les contradictions intrinsèques du nouveau paradigme de pensée ?
La dépensée ne saurait être un destin. Il faut s'autoriser à penser
encore, en cette ère de mutation décisive qui est la nôtre.
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