Par certains côtés, la comtesse de Ségur rappelle les moralistes
du Grand Siècle, et le monde enfantin qu'elle décrit tend à
donner de sommaires répliques à partir d'un «Sophie était
gourmande», «Félicie était vaniteuse» à «Onuphre ou
l'Hypocrite», «Gnaton ou l'Égoïste», «Théodacte ou le
Fat». Les aventures des petits héros en proie aux bons ou aux
mauvais sentiments, et aux conséquences disproportionnées
qui en découlent, évoquent aussi, à l'échelle puérile, celles de
Clélie à travers la carte du Tendre - une carte du Tendre où le
château de la Vanité, les fraisiers de Gourmandise, le sentier
de Désobéissance tiennent lieu de l'acte d'Indifférence, des
hameaux de Tiédeur, de Légèreté et d'Oubli.
Elle aime les événements extraordinaires, les naufrages, les
incendies. Ces petites apocalypses se marient avec les scènes
idylliques, des goûters enfantins sur l'herbe, la promenade au
moulin, la cueillette des cerises.
Pour les inquiéter, Edgar Poe suffit aux adultes. Edgar Poe
ne suffirait pas aux enfants. Bref, je voudrais être un enfant,
savourer mes premières fraises avec la comtesse et fuir mon
premier fantôme. Ou encore devenir assez vieux pour être sûr
que c'est bien la dernière fois que je la relis et que je reçois son
coup de soleil dans l'oeil et sa caresse lunaire.
Jacques Laurent, de l'Académie française
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