L'invention de l'imprimé au XVe siècle - le plomb typographique - n'a pas
totalement supprimé la diffusion manuscrite de certains textes - la plume
du copiste. Le manuscrit de copie subsiste en France jusqu'à la Révolution
comme un procédé de publication réservé, discret, parfois nécessaire, de toute
manière échappant aux règles du marché du livre définies dans le règlement
de 1723 compilé par le Code de la librairie (1744). Le livre parisien domine
en apparence le marché français : il bénéficie de la plupart des privilèges,
de solides appuis auprès de la direction du Livre et des censeurs, surtout
parisiens, rattachés à la Chancellerie. Cette belle organisation, où le pouvoir
politique et la Communauté des Libraires trouvent un intérêt commun,
dissimule à peine des pratiques délictueuses aux yeux de la loi, mais
explicables au nom de l'économie et d'une chalandise qui ne se satisfait pas
des livres à privilèges. Contrefaçons provinciales ou étrangères de production
parisienne, «permissions tacites» pour des livres vendus ouvertement mais
qui n'existent pas en droit, fausses adresses typographiques, auteurs feints
et vrais-faux anonymes : le livre échappe au carcan de la légalité, sinon de
l'économie de marché. La censure a beaucoup à faire pour enrayer certains
débordements, tout en sachant que le manuscrit interdit à Paris sera publié
à Amsterdam ou à Genève pour entrer en fraude à Paris, au seul bénéfice
de la librairie étrangère. Les ventes sur catalogue du XVIIIe siècle prouvent
que le livre interdit prospère dans les bibliothèques les plus convenables au
regard de la loi. Le manuscrit de copie, petite monnaie en apparence de la
diffusion littéraire et philosophique, poursuit sa route sans trop se préoccuper
de ces mouvements qui le concernent pourtant. Les nouvelles à la main et
les correspondances littéraires secondent ou nourrissent les gazettes et les
journaux savants imprimés ; les manuscrits philosophiques modernes se
flattent d'une diffusion limitée qui les met à l'abri d'une censure d'ailleurs très
peu active dans ce domaine tant que le texte ne passe pas au plomb. L'univers
du livre imprimé ou manuscrit propose une galerie de portraits sans égale,
où se rencontrent magistrats austères, libraires avisés, académiciens prudents,
petits et grands délinquants du livre, bibliomanes et copistes à la feuille : un
monde dont la Révolution signera la disparition.
We publiceren alleen reviews die voldoen aan de voorwaarden voor reviews. Bekijk onze voorwaarden voor reviews.