Courte paume, balle à l'escaigne, tamis, pallemail, billard, trou-madame,
galet, quilles, boules, volant, trictrac, échecs, dames, loto, jeu de l'oie,
hoca, pharaon, biribi, lansquenet, piquet, hoc, triomphe, reversis, quadrille,
impériale, flux, culbas, comète, whist : ce sont quelques-uns des
innombrables jeux pratiqués dans la France moderne, du XVIe au XVIIIe
siècle. Mais jouer n'y est pas si simple qu'aujourd'hui. L'Église et la loi
surveillent de près jeux et joueurs, elles ne cessent de leur imposer des
limites, car elles y voient une activité dangereuse, la première pour le
salut des âmes, la seconde pour la tranquillité publique. Elles ne sont pas
seules à s'en préoccuper ; le théâtre et le roman des XVIIe-XVIIIe siècles mettent
en scène les effets funestes de la passion du jeu, pendant que les
mathématiciens s'en servent dans l'étude des probabilités et que les philosophes
des Lumières en soulignent les dangers pour l'équilibre social.
Leurs débats débouchent sur une conception très restrictive du jeu en
général, dont il faudrait user comme d'une médecine, avec prudence et le
plus rarement possible.
Cependant, le jeu déborde constamment les limites que la loi et la morale
voudraient lui imposer. Du XVIe au XVIIIe siècle, il se diversifie en jeux
multiples, d'exercice, d'adresse, de hasard, de commerce, dont les formes
évoluent constamment : si la courte paume décline au profit du pallemail
et du billard, les échecs et les jeux de table prospèrent tandis que s'affirme
l'éclatante fortune des cartes, employées à la fois dans des jeux de commerce
et des jeux de hasard. Ces mutations reflètent la transformation du
goût des élites, lesquelles préfèrent désormais des jeux qui ne compromettent
pas leur dignité.
Jouer dans la France moderne offre aussi maintes occasions de transgression,
en particulier aux jeunes gens qui ce faisant expriment leur vitalité
et leur impatience, sous l'oeil tantôt sévère tantôt débonnaire des autorités
de police. Enfin, le jeu représente une force économique méconnue
jusqu'ici, qui fait vivre des corporations de métiers, rapporte de l'argent à
l'État royal grâce au droit sur les cartes à jouer et à la loterie et sustente
par la fraude une partie non négligeable de la population.
Cette histoire du jeu dans la France moderne envisage l'activité ludique
comme un phénomène social global. Elle montre qu'en parlant des sociétés,
les jeux disent souvent la vérité.
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